Lors du colloque international en hommage à Gnassingbé Eyadéma, organisé à Lomé le 3 février 2025, une question majeure a refait surface : qui mérite réellement le titre de « Père de la Nation » ? Sylvanus Olympio, premier président du Togo, ou Gnassingbé Eyadéma, son successeur à la tête du pays pendant 38 ans ?
Le professeur Essohanam Batchana, membre du comité d’organisation du colloque, a pris la parole pour éclairer l’opinion sur cette appellation controversée. Selon lui, l’origine du titre de « Père de la Nation » attribué à Eyadéma remonte aux travaux d’une Commission de réécriture et de réhabilitation de l’histoire du Togo, qui s’est penchée sur cette question en 2006. « Cette commission avait fait des propositions claires », a rappelé l’historien. « Elle a recommandé de reconnaître Sylvanus Olympio comme le ‘’Père de l’indépendance’’ du Togo, et Gnassingbé Eyadéma comme le ‘’Père de la Nation’’ ».
Pour le professeur Batchana, ce titre attribué à Eyadéma repose sur les efforts considérables que celui-ci aurait déployés pour la construction nationale, la cohésion et l’unité. « Gnassingbé Eyadéma a fait de la cohésion nationale son cheval de bataille. Malgré les moments difficiles que le pays a traversés, la nation togolaise existe aujourd’hui grâce à ses efforts. Il est donc juste de reconnaître qu’il est le ‘Père de la Nation’ », a-t-il défendu.
Toutefois, cette vision est loin de faire l’unanimité, notamment au sein de l’opposition. Le parti ANC de Jean-Pierre Fabre, dans une déclaration diffusée le même jour, a vivement critiqué cette tentative de réécriture de l’histoire, rappelant que Sylvanus Olympio, père de l’indépendance, a été assassiné lors du coup d’État de janvier 1963, un événement dans lequel Eyadéma a lui-même reconnu son rôle.
Le communiqué signé par Jean-Pierre Fabre rappelle un épisode tragique de l’histoire du pays : « L’ANC s’indigne contre les velléités du régime RPT/UNIR de désigner comme ‘Père de la Nation’ celui qui a avoué publiquement être l’auteur du meurtre de Sylvanus Olympio, le 13 janvier 1963. » Ce meurtre, survenu peu après l’indépendance, a marqué un tournant dans l’histoire politique du Togo et continue de diviser la mémoire nationale.
Pour l’ANC, accorder le titre de « Père de la Nation » à Eyadéma serait non seulement une falsification historique, mais aussi une insulte à la mémoire de ceux qui ont véritablement lutté pour la souveraineté togolaise.
Le débat sur l’héritage politique des deux figures est donc loin d’être clos. Ledit débat est peut-être symbolique d’une réconciliation non encore effective. Si certains voient en Eyadéma l’artisan de la stabilité nationale, d’autres rappellent les divisions et les tensions qui ont marqué son long règne, ainsi que les défis persistants auxquels le Togo fait encore face aujourd’hui. Le titre de « Père de la Nation » demeure ainsi un symbole lourd de sens, cristallisant les tensions autour de la mémoire collective et de l’identité nationale togolaise.