Comment Joe Biden peut-il rompre avec l’héritage de son prédécesseur sans risquer de pousser les partisans de Donald Trump à de nouvelles démonstrations de violence ? Le nouveau président entame son mandat dans un rôle d’équilibriste.
C’est une passation de pouvoir semée d’embûches pour Joe Biden, qui a succédé officiellement à Donald Trump à la Maison Blanche, mercredi 20 janvier. D’un côté, le 46e président des États-Unis est poussé par une partie des Américains à marquer une rupture aussi nette que possible avec son prédécesseur. De l’autre, la frange la plus pro-Trump de la population n’a toujours pas accepté la défaite de son champion et peut, à la moindre provocation, faire preuve de violence comme elle l’a démontré lors de l’assaut sur le Capitole le 6 janvier.
Joe Biden pense être à même d’effectuer ce numéro d’équilibriste politique à haut risque. Il n’a pas manqué de mettre en avant sa capacité à travailler avec les républicains durant la campagne pour les primaires démocrates et répète sans discontinuer depuis sa victoire qu’il veut être le président de tous les Américains. Mais, des paroles aux actes, comment peut-il s’y prendre pour satisfaire tout le monde dans un pays politiquement et socialement plus divisé que jamais ?
Le choc du détricotage de l’héritage de Trump
C’est le principal défi de ce début de mandat, reconnaît Jean-Éric Branaa, spécialiste des États-Unis à l’université Paris II et auteur de “Trumpland, portrait d’une Amérique divisée”, contacté par France 24. Ce souci de rompre sans heurter a déjà “été le fil conducteur de la composition de son gouvernement”, rappelle cet expert. Face à l’image d’une administration Trump marquée par des nominations de proches pas toujours qualifiés pour leur poste et dominée par la figure du mâle blanc et riche, le futur cabinet de Joe Biden “répond à deux exigences : compétence et diversité”, souligne Jean-Éric Branaa.
Une ancienne cheffe de la Fed va s’occuper des finances, un vétéran de la diplomatie devient secrétaire d’État, tandis qu’une transgenre rentre pour la première fois au gouvernement (la pédiatre Rachel Levine au poste de ministre adjointe de la Santé). En outre, plus de la moitié de son équipe de transition est constituée de femmes et de personnes de couleur. Pour autant, la plupart de cette nouvelle équipe se situe politiquement au centre. Pas de quoi effrayer les électeurs conservateurs.
Les républicains risquent, en revanche, d’avoir plus de mal à avaler les premiers jours de la présidence Biden. “Ce sera le temps du détricotage de l’héritage Trump et le choc va être violent”, confirme Jean-Éric Branaa. Le nouveau président a déjà pris 17 mesures pour revenir sur les décisions les plus choquantes de son prédécesseur aux yeux des démocrates. Il a mis fin au “Muslim ban“, ramener les États-Unis dans le club des pays signataires de l’accord de Paris sur le climat, ou encore régulariser la situation des “Dreamers”, ces enfants de migrants venus illégalement aux États-Unis.
Difficile de ne pas s’atteler à cette tâche, tant elle apparaît essentielle pour l’électorat démocrate. Mais Joe Biden n’en oublie pas pour autant le camp opposé. Il compte boucler son grand nettoyage des écuries trumpiennes en quinze jours. L’idée est de tourner la page au plus vite “pour passer à la phase apaisement de son mandat dès que possible”, analyse Jean-Éric Branaa.
Les armes pour apaiser
D’après lui, Joe Biden compte calmer les esprits en remettant d’abord un peu d’ordre dans l’organisation des pouvoirs aux États-Unis. Fini le président qui, à l’image de Donald Trump, se croit tout permis. “Il va réhabiliter le rôle du Congrès et s’assurer que la séparation des pouvoirs est bien respectée“, note le chercheur de l’université Paris II. C’est la stratégie de l’apaisement par un retour à la normalité institutionnelle.
En parallèle, il compte utiliser l’arme économique pour caresser les électeurs de Donald Trump dans le sens du poil. Ce n’est pas un hasard politique si “son plan de relance est très fortement axé sur le soutien aux classes moyennes et défavorisées“, note Jean-Éric Branaa. C’est dans ces catégories de la population, frustrées de voir leur pouvoir d’achat diminuer dans un pays de plus en plus inégalitaire, que Donald Trump a recruté la majorité de ses électeurs.
Joe Biden a aussi eu l’intelligence politique de choisir un thème rassembleur pour ses premiers pas en matière de politique étrangère : la Chine. Dans ce domaine, “il s’est placé dans la continuité de son prédécesseur”, souligne Jean-Éric Branaa. Antony Blinken, qui doit devenir le prochain secrétaire d’État, a reconnu, mardi 19 janvier, que Donald Trump avait eu “raison d’être dur avec la Chine”, tandis que Janet Yellen, futur secrétaire au Trésor, a assuré que Washington utiliserait “tous les outils à sa disposition pour contrer les pratiques commerciales injustes” de Pékin. Des déclarations qui ne manqueront pas de rassurer les partisans de Donald Trump, qui ont été abreuvés de diatribes anti-Pékin pendant quatre ans.
Des éléments difficiles à maîtriser
Mais il pourra difficilement jouer les grands rassembleurs sur tous les sujets. Quid, par exemple, de la lutte contre la pandémie de Covid-19, qui représente l’un des dossiers les plus urgents de la nouvelle administration ? Les démocrates sont majoritairement favorables aux mesures de distanciation sociale, tandis que la simple idée de porter un masque apparaît aux partisans de Donald Trump comme une atteinte intolérable à leur liberté individuelle. Joe Biden sait qu’il avance en terrain miné sur ce sujet et a opté pour ne rendre obligatoire de porter le masque que dans les bâtiments et espaces fédéraux. C’est mieux que rien, mais peut-être déjà trop pour les conservateurs.
Le nouveau président s’est aussi montré particulièrement pressé de repousser à plus tard les questions d’immigration et de tensions raciales. Il va ainsi charger chaque administration d’évaluer l’impact sur les inégalités raciales de leurs programmes et de proposer des solutions dans les… 200 prochains jours.
Enfin, il y a les éléments que Joe Biden ne peut pas maîtriser. À commencer par Donald Trump qui a promis, lors de son départ de la Maison Blanche, de “revenir d’une manière ou d’une autre”. Va-t-il fonder un nouveau parti ? Un nouveau média ? Qu’importe : son ombre risque de peser encore longtemps sur les efforts du nouveau président d’apaiser le pays. Difficile aussi d’anticiper la réaction des médias ultraconservateurs – de Fox News à Newsmax – qui ont tant fait pour prêcher la bonne parole trumpienne.
Des forces extérieures qui pourraient aussi contribuer à faire chuter l’équilibriste Joe Biden, même s’il parvenait à faire un parcours sans faute. Et dans le contexte social explosif actuel aux États-Unis, si le nouveau président ne parvient pas à rassembler, les conséquences peuvent être sévères. Les policiers du Capitole peuvent en témoigner.