Tel un couperet, la nouvelle est tombée le mardi 20 avril dans la mi-journée. Le président Tchadien, le maréchal Idriss Deby Itno (IDI) n’est plus. Officiellement, il a succombé des suites de ses blessures lors d’affrontements entre rebelles et forces gouvernementales au nord du pays, dit-on. Les conditions de sa mort sont floues et obscures comme le révèle plusieurs sources non des moindres. Après 30 ans d’un règne sans partage, l’homme fort de Ndjamena a passé l’arme à gauche à 68 ans, juste après avoir obtenu le quitus pour un sixième mandat controversé. Un décès qui reste non sans conséquences sur l’Afrique Centrale et sur un pays constamment sous les feux et attaques des rebellions.
Le maréchal n’aura donc pas eu le temps de savourer sa 6ème victoire obtenue non sans contestation. Car, il faut le dire, le maréchal ne laissait aucune place à l’opposition dans son pays avec en toile de fond une situation mitigée sur les droits de l’homme. Si au plan national, l’homme était quelque peu critiqué, au plan sous régional il était un allié incontournable pour plusieurs dont en particulier la France qui fermait les yeux sur certaines de ses dérives et avec l’aide de qui il avait renversé son prédécesseur Hissène Habré.
Soldat dans l’âme
Commandant en chef de l’armée en 1982, Idriss Deby Itno mène la guerre de reconquête qui permet au Tchad de reprendre le nord occupé par les Libyens. Mais il finit par tomber en disgrâce et fuit pour échapper au président Hissène Habré qui l’accuse de complot. Il reviendra à N’Djamena, à la tête d’une armée et d’un parti qui a choisi pour emblème une kalachnikov croisée avec une houe pour ravir le pouvoir à Hissène Habré le 1er décembre 1990 avec l’appui de la France.
En 1996, après une “transition démocratique”, Idriss Déby est élu président lors du premier scrutin pluraliste et accueille une partie de ses adversaires au gouvernement. Cependant, pour se maintenir au pouvoir, l’ancien rebelle et militaire de carrière s’entoure des membres de son ethnie zaghawa et neutralise ses rivaux politiques. Pendant 30 ans, il remportera les élections dans la contestation et dans la répression.
Pivot de la sous-région
Depuis son accession à la magistrature suprême, IDI était l’homme de la France dans le Sahel qui lui servait d’appui logistique sur tous les fronts dans la sous-région. Aussi, faut-il préciser que son armée était présente sur plusieurs fronts dans la sous-région notamment pour combattre Boko Haram et également au Mali face au djihadistes. Poids lourd dans la lutte contre les terroristes au Sahel et garant d’une certaine stabilité militaire en Afrique Centrale, Son départ brusque dans un contexte où la sous-région est fortement secouée par les terroristes de tous bords avec au nord une Lybie devenue un nid de rebelles, laisse la sous-région dans une certaine instabilité. Toutefois, certaines des prises de position de l’homme fort de N’djaména commençaient par en faire un allié encombrant pour Paris, sans oublier que ce n’était plus l’idylle parfait avec certains pontes de son armée.
insoumis au pré carré français
Depuis quelques années, Idriss Deby Itno commençait à échapper au contrôle absolu de la France à qui il devait tout. Son ton parfois accusateur vis-à-vis de l’ancien colon ne plaisait pas à Paris. Il a été le seul chef d’Etat d’Afrique francophone à s’insurger contre le franc CFA, chasse gardée de la mère métropole. Aussi, cette interview donnée à trois journalistes français il y a trois ans, fut une gifle amère à ses anciens bienfaiteurs qu’il ne manquât pas d’accuser de l’avoir maintenu au pouvoir en 2006 contre son gré en modifiant la constitution de son pays. Toujours avec son air suffisant, au cours de la campagne électorale menant vers son sixième mandat, il n’y ait pas allé de main morte indexant les colons français d’être à la base du sous-développement dans lequel croupit l’Afrique. C’est donc dire que l’homme commençait par enfiler un manteau de panafricaniste qui n’était pas du goût devant plaire à ses anciens maîtres.
Selon plusieurs analystes, son positionnement dans la crise centrafricaine pour le président au pouvoir Faustin Archange Touadera au détriment de la rébellion de Francois Bozizé soutenue par l’extérieur, a été la goutte d’eau qui aurait fait débordé le vase. Il était devenu donc clair que l’ancien sous-préfet voulait s’affranchir de la laisse qu’il trainait depuis son accession au pouvoir. Allez-y donc comprendre qui aurait intérêt à voir IDI hors course.
Circonstances floues
A l’annonce des colonnes de rebelles venues de la Lybie, lDI était confiant, car il avait maté de plus coriaces. Les rebelles du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT) n’avaient pas les moyens de déstabiliser l’armée tchadienne l’une de plus aguerries dans la guerre du désert. Par ailleurs, cette subite volte-face du FACT qui combattait en Lybie voisine, sur le Tchad le 11 avril, n’est pas fortuite. Elle aurait, semble-t-il, été commandité grâce à certaines intelligences extérieures pour faire payer l’homme fort de N’djaména.
De plus, il faut reconnaitre que le front où s’était rendu le 18 avril dernier Idriss Deby avait été déclaré par les renseignements français en faveur de l’armée tchadienne. L’hypothèse que le rapport de force ait subitement tourné en faveur des rebelles à l’arrivée sur le terrain du maréchal prête à sourire à moins que les renseignements aient été faux dès le départ.
Si l’on prend en compte la configuration de l’armée tchadienne qui ” est organisée selon le modèle de la ruche, pour pouvoir tuer la reine, il faut d’abord pouvoir tuer un grand nombre de soldats’’, cela semble incompréhensible que les rebelles en déroute soient parvenus à opérer une grande brèche jusqu’à atteindre IDI.
Au vu de ce qui précède et sans passer sous silence les dissensions entre certains généraux de son armée, la thèse de l’assassinat qui s’oppose à la version officielle servie par l’armée Tchadienne au lendemain de sa mort semble plus plausible.
L’Après deby, une incertitude
Les dissensions au sein de l’armée, avec en toile de fond une guerre de clan pour succéder à Deby, bien qu’officiellement et pour le moment le pays soit dirigée par un comité militaire de transition avec à sa tête l’un des fils d’IDI, le général 4 étoiles, Mahamat Idriss Deby, sans oublier les rebelles du FACT qui pourraient marcher sur N’Djamena, l’incertitude plane sur ce pays qui, nous l’espérons tous, trouvera un havre de paix une fois pour toute et une démocratie solidement enracinée une fois la transition passée. En ce qui concerne la politique militaire extérieure du Tchad, nul ne sait si pour le moment, les nouveaux hommes forts de N’djamena ont la même conviction que leur désormais ex-mentor. Les jours à venir nous en édifieront plus.