Valoriser la production locale dans un pays est un facteur non-négociable pour la promotion des produits internes, qui peuvent bénéficier d’un marché direct, véritable levier pour le décollage des initiatives. Il est quasiment impossible à l’entrepreneur local de décoller, s’il ne peut jouir d’un début favorable sur le marché local. Le Togo, de plus en plus demandeur des initiatives des jeunes pour résoudre la question de l’emploi, peine pourtant à stimuler le concept du consommer local. Plusieurs analyses abordent la question sans pourtant pouvoir bouger les lignes depuis près de 10 ans. Le 22 avril dernier, le député Gerry Taama est revenu dans une de ses prolifiques publications sur les réseaux sociaux, sur la question du fameux « made in Togo », porté par le concept du consommer local. Un vrai paradoxe selon une petite analyse qui dépeint une politique tout du moins controversée face à la nécessité d’encourager la production et la consommation locale afin de stimuler la création endogène de richesses. À cette analyse, s’ajoute la récente thèse de doctorat du précédent ministre de l’Agriculture, qui pointe du doigt la force de la politique dans la promotion des productions agricoles locales, notamment le poulet.
Alors que l’entrepreneuriat est bandit par les gouvernements africains pour se tirer de leur obligation régalienne de créer de l’emploi pour les jeunes diplômés de plus en plus innombrables, beaucoup de ratés ont entouré le concept. Entre, l’absence totale de protectionnisme des produits locaux, qui entraîne la mévente manifeste de cette production locale au grand bonheur des importés qui continuent d’asphyxier le marché local sur fond de faillite des initiatives des jeunes poussés en masse vers l’entrepreneuriat.
Gerry Taama, président du Nouvel Engagement Togolais (NET) a publié un tableau présentant la nomenclature du prix des céréales à l’Agence Nationale de la Sécurité Alimentaire du Togo (ANSAT). Selon ce tableau, 25 kg du riz local (Kovié Molou), long grain est à 13 000 FCFA contre 10 000 FCFA du 30 kg du riz importé ; les brisures 25 kg (local) est à 10 000 FCFA alors que le 50 kg du maïs blanc importé est à 9 500 FCFA, entre autres.
Déjà, une grosse surprise. Au-delà de ces innombrables commerces privés qui font la promotion du riz importé, l’agence nationale togolaise de la sécurité alimentaire se dresse en vitrine de commercialisation du riz importé, ceci dans un pays où on clame l’autosuffisance alimentaire depuis près d’une dizaine d’années, et dont la production locale est importée pour la rescousse des pays de la sous-région menacés par la famine. Quelle est l’opportunité pour l’ANSAT de faire la promotion de produits agricoles importés alors que la production locale peine à se vendre sur le marché local ? Pendant qu’on est à cette observation, on peut très vite réaliser comment une production agricole peut quitter la Chine, la Thaïlande, franchir des milliers de kilomètres, affronter les taxes et les exigences scientifiques possibles, pour venir s’imposer aux produits locaux ?
En effet, en fonction de la nomenclature des prix de l’ANSAT partagés par Gerry Taama, on peut remarquer que les produits importés reviennent à des prix moins chers que les produits locaux.
“Le paradoxe du consommer local. Les produits importés sont moins chers que ceux produits localement. Le Thaïlandais cultive son riz en Thaïlande, on met ça sur bateau, ça arrive à Lomé, ils paient des droits de douane et des taxes, même malgré tout ça, ce riz coûte moins cher que le riz produit localement,” constate le député qui fait observer que “tout l’enjeu de la consommation des produits locaux repose sur le prix. Tant que les produits importés seront moins chers, et souvent mieux présentés, ils seront toujours mieux prisés, surtout que le niveau de vie est faible et les salaires assez bas.” Bien Sûr, derrière le patriotisme et le vocable du consommer local, réside les réalités des habitudes alimentaires généralement entretenues par le mythe exotique de l’importé, qui représente, rien que par son emballage et son statut de “fabriqué ailleurs”, une sorte de qualité plaquée.
Et pour les rares togolais qui savent que les transformations industrielles appliquées aux produits alimentaires importés, leurs parcours entre plusieurs températures extrêmes et leur durée de stockage dans des magasins non contrôlé les rend impropres à la consommation, et qui arrivent enfin à observer les choses de cet œil averti, il faudra bien ajouter leur capacité à se payer des produits locaux qui ne sont pas forcément de meilleure qualité, mais qui n’ont pas subi le même stress industriel. Ce qui leur permet de conserver une certaine qualité de consommation. Mais ils restent très chers et peu accessibles, puisque n’ayant bénéficiés d’aucune subvention sur toute la chaîne de production, et laissés en proie à des produits importés subventionnés à coups de milliards par des gouvernements étrangers qui veulent booster les emplois dans leurs pays, en finançant la conquête de débouchés étrangers.
Ensuite, il faut relever que les politiques porteurs du « made-in-Togo », n’ont pas du tout l’air convaincus du rêve qu’ils essaient de vendre à la jeunesse togolaise. Imprégnés dans la culture étrangère, ils sont transformés par les habitudes et les modes de consommation occidentale au point qu’il est quasiment impossible d’introduire eux-mêmes dans leurs habitudes, la consommation locale. Ainsi, il n’est pas rare de voir des officiels arriver dans un salon de l’artisanat togolais avec des costumes 3 pièces importés de grandes boutiques italiennes, toute honte bue.
“Dites au ministre chargé de la consommation locale que si dans le mois à venir, on ne le voit pas arborer des tenues de nos créateurs locaux, il n’a qu’à abandonner son ministère-là” a lancé Gerry Taama sur un ton amusant, pourtant très pertinent au regard des difficultés criardes auxquelles font face les initiatives locales qui n’arrivent pas à écouler leur production.
“Il faut taxer au plus fort les poulets importés. Plusieurs pays tels que la Côte d’Ivoire sont passés par là pour arriver à une forte valorisation de leurs poulets locaux” a conseillé l’ancien ministre de l’Agriculture Noël Bataka, dans sa thèse de doctorat obtenue la semaine dernière, toujours en référence à la valorisation des produits locaux. “C’est juste des instruments de politiques publiques qui doivent être pris. La filière avicole est une grande opportunité du fait du fort usage qui est fait dans les rites culturels au Togo. Il est donc possible de développer notre économie à partir de la mise en œuvre d’un ensemble d’instruments et de politiques pour le développement agricole“, a renchéri l’ancien ministre très applaudi par le jury.
En réalité, ce qui est valable pour le poulet, peut l’être pour les tomates, pour le riz, le maïs, etc. Tout est question de volonté et d’audace politique. Et c’est en réalité sur ces questions que nos gouvernants doivent pouvoir se montrer courageux vis-à-vis des influences étrangères.