Au Togo, les manifestations des 5 et 6 juin 2025, organisées à Lomé pour dénoncer la récente réforme constitutionnelle, les conditions de vie jugées de plus en plus insoutenables, ainsi que les détentions arbitraires de figures engagées comme le rappeur Aamron, ont donné lieu à une répression de la part des forces de l’ordre. D’après des témoignages recueillis par l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains (FIDH/OMCT), au moins 81 manifestants ont été arrêtés arbitrairement. Parmi eux figuraient des défenseurs des droits humains et un mineur.
D’après l’observatoire, ces personnes ont été transférées dans divers centres de détention : le Commissariat central, la Gendarmerie nationale, le Service central de recherches et d’investigations criminelles (SCRIC), ou encore la brigade Antigang de Djidjolé. Si la plupart ont été relâchées dans les jours qui ont suivi, six ont comparu le 10 juin devant un juge, sans avoir été informés au préalable des charges retenues contre eux. Trois ont été inculpés pour « troubles aggravés à l’ordre public ».
La gestion sécuritaire de ces manifestations a été jugée disproportionnée par l’observatoire. Toujours selon l’observatoire, des vidéos et témoignages rapportent un usage excessif de la force : coups de poing, de matraque, usage de cordelettes, jets d’eau sur des manifestants non armés, parfois déjà maîtrisés. Des officiers de police judiciaire auraient également violenté des personnes placées en garde à vue. Sept manifestants ont dénoncé des actes de torture et de mauvais traitements lors de leur détention. Une avocate de la défense rapporte que l’un de ses confrères s’est vu interdire l’accès à ses clients, bien que muni d’une autorisation du Procureur, une atteinte flagrante à l’article 16 de la Constitution togolaise.
Par ailleurs, de nombreuses irrégularités ont été observées : absence d’accès à un médecin en garde à vue en violation de l’article 53 du Code de procédure pénale, interdiction de contact avec les familles, non-séparation des hommes, femmes et mineurs détenus. La journaliste de TV5 Monde, Flore Monteau, a elle aussi été victime d’intimidation. Interpellée alors qu’elle couvrait les événements du 6 juin, elle a été conduite au Commissariat de Djidjolé et contrainte d’effacer les images enregistrées.
A en croire l’observatoire, ce durcissement de l’appareil sécuritaire s’inscrit dans un contexte de répression prolongée contre les voix dissidentes. Depuis plusieurs années, les interdictions de manifestation se multiplient. Déjà, le 14 avril 2024, la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples avait condamné l’interdiction des protestations contre la révision constitutionnelle, qualifiant cette interdiction de « recul démocratique ».
L’arrestation du rappeur et activiste Aamron, le 26 mai 2025, cristallise l’indignation. L’artiste serait détenu de manière arbitraire dans un centre psychiatrique, sans décision de justice ni consentement de sa famille. Le communiqué de l’observatoire laisse présumer des actes de torture sur le rappeur. Aamron est connu pour ses prises de position contre la corruption et les inégalités sociales. « Ils veulent faire taire ceux qui parlent trop fort, mais ils ne peuvent pas museler la vérité », confie un de ses proches.
Un autre activiste, le poète et cybermilitant Honoré Sitsopé Sokpor, alias Affectio, est en détention prolongée depuis cinq mois, malgré les appels répétés à sa libération lancés par la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur les défenseurs des droits humains. Ce n’est pas une dérive isolée : en 2019 déjà, Folly Satchivi du mouvement En aucun cas, Johnson Assiba du RJADD, et les membres du mouvement Nubueke, Messenth Kokodoko et Joseph Eza, avaient été arrêtés et condamnés après leur participation à des manifestations. Le Comité contre la torture des Nations unies s’était alors saisi du dossier.
Dans ce climat de répression, l’Observatoire appelle les autorités togolaises à libérer immédiatement les trois manifestants encore détenus, ainsi que tous ceux arrêtés pour avoir exercé leurs libertés d’opinion et de manifestation. Il exige également la libération sans condition d’Aamron et d’Affectio, ainsi que la mise en œuvre d’enquêtes indépendantes et impartiales sur les actes de torture et les violations des droits humains commis lors des événements des 5 et 6 juin.
L’organisation internationale rappelle que ces violations vont à l’encontre de nombreux textes que le Togo a ratifiés : la Constitution togolaise (articles 25 et 30), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (articles 19 et 21), la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples (articles 9 et 11), mais aussi les articles 10, 11 et 21 de la Constitution et l’article 198 du Code pénal togolais.
La loi n° 2019-010 modifiant celle de 2011 sur les conditions de réunion et de manifestation pacifiques reste une pierre d’achoppement. Jugée restrictive par le Comité des droits de l’Homme des Nations unies en 2021, elle devrait être révisée pour se conformer à l’article 21 du PIDCP et garantir un exercice effectif des libertés publiques.
Alors que d’autres manifestations sont prévues à Lomé entre le 26 et le 28 juin 2025, l’Observatoire exhorte le gouvernement togolais à garantir, cette fois, la sécurité et les droits des manifestants, au lieu de les réprimer. Le respect des libertés fondamentales ne devrait jamais être une option, mais une obligation.