Ce matin du jeudi 29 mai, dans un vacarme de moteurs usés et d’odeurs de maïs grillé, l’un des moulins d’Agoè Logopé tourne à plein régime. Les femmes patientent en file indienne, chacune avec son seau en plastique, parfois un bébé au dos. Mais sur la porte métallique rouillée, un document attire tous les regards : une feuille imprimée, scellée par un cachet syndical, avec un chiffre en gras tout en bas. Prix de l’affiche officielle : 1 000 F CFA. Pas un mot de plus.
À peine entré, M. Kodjo, meunier depuis 17 ans, secoue la tête. « C’est la nouvelle donne. Tout a changé depuis ce matin. On n’a plus le choix. » Derrière son regard fatigué, l’inquiétude est palpable. Car la veille, le 28 mai, marque un tournant pour tous les moulins du Togo. Le Syndicat national des exploitants de moulins, pétrins et aiguisoirs du Togo (SYNEMPATO) a tranché : les prix des prestations sont officiellement revus à la hausse.
Une décision rendue publique à l’issue des Assemblées générales du mois de mai. Et dans un contexte où chaque franc compte, la mesure passe mal auprès des habitués.
Il faudra désormais débourser 250 F pour une mesure de maïs ou de Galikou, 500 F pour une bassine normale de fécule de manioc, 800 F pour une mesure de piment, 750 F pour l’arachide, et jusqu’à 1 000 F pour une mesure normale de mil germé. Les services liés au pétrissage suivent la même dynamique : le traitement d’un sac de farine de blé coûtera désormais 1 600 F.
Les usagers des services d’aiguisage ne sont pas en reste. Il faut désormais compter 2 000 F pour aiguiser une paire de meule N°1, 2 500 F pour une paire de meule N°2, et 1 000 F pour une paire de meule de piment.
Mais ce n’est pas tant la hausse des prix qui intrigue que les modalités de leur application. Le syndicat met en place un système de contrôle rigide. « Tout contrevenant aux nouveaux tarifs se verra infliger une amende de 20 000 F », prévient le communiqué du SYNEMPATO.
Dans le quartier d’Agoè Kossigan, un autre moulin tourne. Là aussi, l’affiche est en place et le nouveau tarif étonne Ayaba, mère de six enfants. « Avant, je venais avec 500 francs, je repartais avec 4 bols par là. Aujourd’hui, je dois faire des choix. »
Mais pour les meuniers, l’heure n’est plus aux concessions. Le SYNEMPATO, par la voix de son secrétaire général Kodjovi Senko, justifie : « Il fallait revaloriser les salaires des meuniers. La vie devient chère pour eux aussi. L’électricité a augmenté depuis l’arrêté interministériel du 24 mars. Les pièces coûtent trop cher. Et les pertes se multiplient. »
Dans les coulisses, un malaise plus profond s’installe. Les exploitants dénoncent une invisibilité croissante. « On nous croit riches parce qu’on fait du bruit dans les quartiers. Mais entre l’électricité, les pannes, les meules à changer, on ne s’en sort plus », glisse Kevin, à Agoè.
Ce qui intrigue encore plus, ce sont les mesures de contrôle mises en place par le syndicat. Toute entorse aux nouveaux tarifs entraînera une amende de 20 000 F CFA. Et gare à celui qui afficherait une photocopie du document officiel : 5 000 F d’amende.
« On a décidé que seul l’original est valable. Il est vendu à 1 000 F. On veut éviter les faux documents et la concurrence déloyale », insiste Kodjovi Senko.
Dans un pays déjà secoué par la hausse des prix sur les marchés, l’augmentation dans les moulins fait craindre un effet domino sur la consommation populaire. À Lomé comme à l’intérieur du pays, le maïs, le manioc, le mil, la pâte, piliers de l’alimentation locale, risquent de devenir moins accessibles. Derrière ces ajustements tarifaires, c’est aussi toute la chaîne alimentaire qui pourrait être impactée. Dans une conjoncture économique marquée par la flambée des prix sur les marchés, l’inflation des denrées alimentaires et la réduction du pouvoir d’achat, la moindre hausse dans les services de transformation peut avoir des effets en cascade sur le panier de la ménagère.