Face à la crise sanitaire du Covid-19, le gouvernement a annoncé ne pas être prêt pour l’ouverture des écoles fermées il y a environ un mois. Mais il fallait tout de même sauver l’année scolaire, surtout pour les apprenants en classes d’examens par des cours en ligne pour les étudiants de l’enseignement supérieur et les télé programmes pour les élèves des enseignements primaire et secondaire sur toute l’étendue du territoire national. Seulement, l’idée serait la bienvenue si la gouvernance depuis 60 ans d’indépendance comme à l’image de plusieurs pays africains, s’était souciée de l’accès de tous aux infrastructures basiques comme aux soins de santé de qualité, l’éducation, l’électricité, la communication et l’accès à internet. Aujourd’hui, les mêmes gouvernants se trouvent à la croisée des chemins entre garantir la continuité de l’éducation à une partie des enfants du pays qui ont électricité, médias et internet à loisir pendant que d’autres enfants, aussi citoyens au même titre nourrissent encore le rêve de découvrir un jour, toutes ces infrastructures sociales de base…
Alors que le président de l’Université de Lomé opte pour les cours en ligne dans l’intention de sauver l’année académique, le gouvernement met en place le programme télé-école. Probablement, ces décideurs ignoraient certaines réalités dont les profondes inégalités qui ne favorisent pas l’accès de tous à l’éducation, qui plus est, dans les conditions qu’ils proposent.
En dépit des nombreux programmes et projets d’électrification massifs ciblant particulièrement les populations rurales ces dernières années, il faut relever qu’officiellement, moins de 50% des togolais ont accès à l’électricité. Et pour ceux qui ont accès à cette denrée rare, ils n’ont pas tous les capacités de s’acheter une télévision ou d’en payer la facture mensuelle. Mais quand on a un poste téléviseur, il faut du moins pouvoir également trouver et capter une chaîne nationale qui diffuse effectivement les cours prévus. Au demeurant, quelle statistique peut-on dégager de ces enfants togolais capables de suivre les cours selon le programme du gouvernement ?
L’Internet : cher et inaccessible
Ironie du sort, l’actuel ministre en charge des Enseignements Primaire et Secondaire vient de quitter la direction d’une grande société nationale de téléphonie mobile, fournisseur d’accès internet et d’internet mobile aux prix parmi les plus chers de la sous-région, quasiment limitée dans les centres urbains du Togo avec une faible couverture dans la majorité des zones rurales.
Le Togo est l’un des rares pays où le coût d’internet n’a pas été réduit avec la crise du Covid-19. Selon le rapport 2018 de l’Alliance pour l’accès à Internet (A4AI), seuls 11% des togolais ont accès à internet pour un coût d’un peu plus de 15 000F CFA pour avoir 5Go. Ce qui est trop lourd pour un togolais dont le Smig est demeuré à 35 000 CFA par mois depuis plusieurs décennies.
Parler même de radio n’est pas envisageable quand on sait au prix de quels efforts certains togolais des milieux ruraux arrivent à capter des chaînes radio avec les coûts de déplacements imposés aux promoteurs radios et surtout la difficulté d’éliminer le brouillage entre radios locales et radios étrangères. Dans une tribune, Gerry Taama s’interrogeait sur la pertinence des programmes télé-éducation et cours en ligne en ces termes : “ Les gens n’ont pas électricité et ils vont trouver où télé pour regarder ? L’un des principes de l’éducation, c’est l’assiduité et le contrôle. Si tu n’as aucune certitude que l’élève a suivi le cours, comment tu vas le contrôler ? Prions que cette pandémie quitte vite notre pays et les enfants vont reprendre le chemin de l’école…”Pour le président du Net, c’est pareil avec le projet Kokoroko des cours en ligne : “Avec quelle connexion ?”, s’interroge-t-il.Comme dans plusieurs domaines, la crise du Covid-19 est l’occasion pour chaque gouvernant de se regarder dans le miroir. Jusqu’à quel pourcentage les programmes de gouvernance tant vantés et vendus dans les rapports internationaux et les médias permettent-ils à l’Etat d’assurer son rôle régalien ? Mais les citoyens ne sont plus dupes devant l’argumentaire de manque de ressources. Quand des milliards sont détournés sur de grands projets d’infrastructures sans que les auteurs ne soient inquiétés, c’est que le pays a probablement suffisamment de quoi jeter par la fenêtre. Quand certaines autorités roulent dans des voitures à centaines de millions de cfa pour le luxe, monopolisent les ressources nationales et les dilapident allègrement… c’est alors de la mauvaise foi de se pointer devant les gouvernés avec des arguments de manque de ressources.
Mais, le mal est déjà là. Il y a péril en la demeure et les chefs de la maison ont démontré sur toute la ligne leur incapacité à protéger les enfants. Sinon, il n’y a pas de magie à faire. Le programme de télé-éducation et de cours en ligne étaient la meilleure solution pour sauver l’éducation nationale en pleine crise. Malheureusement le pays a été configuré d’une manière que ce sera finalement l’occasion de frustrer les citoyens en les jetant à la figure le disque des éternelles inégalités sociales qui sont entretenues sans vergognes par les gouvernants. On aimerait pouvoir trouver une astuce pour se voiler la face, mais il n’y en a malheureusement pas.
Savoir exploiter cette faiblesse
De plus en plus de raisons laissent à croire que le Covid-19 est entrain de rentrer dans l’histoire avec les multiples traitements disponibles et même l’annonce d’une cure préventive par Madagascar. Rien n’est pourtant sûr que tout pourra rentrer dans l’ordre avant deux mois. L’autre réalité reste que nous n’aurions pas de garantie qu’il n’y aura plus jamais une sorte de Covid-19. Ainsi, il serait préférable à nos États d’admettre leur incapacité à développer certaines solutions d’enseignement à distance et de privilégier surtout des solutions à long terme. Quand on ne sait pas courir, il faut savoir se cacher.
Un territoire de 56 600km² ne devrait pas être de la mer à boire en termes de couverture média et réseaux de communication. Si tout le monde se met au travail avec l’esprit de bonne gouvernance et moins de diversions politiques, nous serons une référence en termes d’éducation à distance dans quelques mois.