Togo- quand l’influence des multinationales favorise l’évasion fiscale

L’influence des multinationales prend en otage le salaire de 22 555 agents de santé

La cinglante vérité a été établie dans un rapport glaçant d’un consortium international d’organisations dont le Tax Justice Network et l’alliance globale pour la justice fiscale. Au terme de l’étude, il est établi sans grande surprise que les sociétés multinationales et les personnes les plus riches ont réussi à imposer aux gouvernements un système de recette fiscale qui leur permet de payer moins que ce qu’ils devraient payer proportionnellement aux ressources qu’ils exploitent ainsi que les bénéfices qui en découlent, ceci à travers le monde, que ce soit dans les pays pauvres comme le Togo ou les pays les plus riches.

Ainsi, le rapport intitulé « Justice fiscale : état des lieux 2020 », prend le soin de mesurer l’impact socio-économique de cette situation avec de meilleures précisions grâce à des données recueillies dans 26 pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Il est donc à regretter que n’eût été la capacité de certaines multinationales au Togo à réduire (de façon licite ou illicite) le montant des taxes et impôts dû à l’office togolais des recettes (OTR), le gouvernement aurait eu une meilleure capacité de riposte face à la crise de Covid-19 et un niveau de réponse adéquate aux carences dans les secteurs sociaux comme l’éducation et la santé.

“Les sociétés et individus les plus fortunés, agissant dans leur propre intérêt, ont dicté à nos gouvernements les lois et politiques qui régissent l’organisation de nos systèmes fiscaux, en définissant qui y contribue, dans quelle mesure, et où sont investies les recettes obtenues. Après des décennies de réductions des impôts sur les sociétés, de déréglementation et de stagnation des réformes fiscales, les services publics et de santé n’avaient ni les fonds ni la préparation nécessaires pour faire face au COVID-19”, dénonce le rapport dans ses lignes introductrices. En outre, ces instigateurs de l’évasion fiscale auraient travaillé à mettre dans la conscience populaire des idées reçues selon lesquelles les abus fiscaux des sociétés et individus les plus nantis ne sont pas assez importants pour avoir de réelles conséquences sur l’économie mondiale. Pourtant, les abus fiscaux privent les pays de plusieurs milliards de recettes fiscales dont ils ont désespérément besoin, et nous empêchent tous de construire des sociétés meilleures, plus saines et plus justes.

Des dizaines de milliards s’évadent chaque année du Togo au détriment de 62% d’investissement public dans le système sanitaire

Les pertes fiscales annuelles du Togo s’élèvent, selon le présent rapport, à 41,6 millions de dollars US soit environ plus de 20 milliards de F CFA, notamment 38,85 millions de dollars US en termes de pertes fiscales annuelles liée à l’abus à l’impôt sur les sociétés et 2,7 millions de dollars US en termes d’évasion fiscale en outre-mer.

Cela représente 62,01% de pertes des dépenses annuelles de santé du Togo ou encore l’équivalent de salaire annuel de 22.555 agents de santé. C’est à se mordre le doigt quand on sait quelle migraine est infligée aux décideurs par les interminables crises dans le secteur de la santé à cause des manques de moyens pour la prise en charge adéquate du personnel de la santé, mais également l’équipement des hôpitaux en infrastructures de base.

L’Afrique perd, par an, 23,242 milliards de dollars liés à l’abus à l’impôt. Dans la sous-région le Bénin semble s’illustrer avec une bonne performance soit une perte de seulement 51 284 $US sur l’impôt, 230 294$ US au Burkina-Faso et une performance encourageante au Libéria qui n’a enregistré aucune perte même si les données de ces pays y compris le Togo, restent faibles. Cependant, la situation est tout aussi préoccupante au Ghana (85 millions USD), au Nigéria (10 milliards USD).

Un piège sans fin

En effet, les pays pauvres voyant leurs recettes fiscales insuffisantes, tombent dans le piège de réduire les taux d’imposition ou d’instaurer des cadres d’exonération parfois anarchique à des fins concurrentielles dans l’idée d’encourager les investissements des multinationales, lesquelles seraient pourtant à l’origine des mauvaises recettes au départ. Cela accentue les avantages particuliers de ces fraudeurs fiscaux au détriment des recettes fiscales et prend en otage les investissements publics.

La nécessité de reprendre le contrôle

Nous devons (re)paramétrer notre système fiscal mondial de façon à ce que l’égalité prime sur les désirs des plus fortunés. Cela implique de faire en sorte qu’il accorde une importance égale aux besoins de tous, au lieu d’un traitement de faveur à ceux qui cherchent à échapper  à leurs obligations fiscales. Les règles et politiques sur lesquelles le système fiscal international est fondé peuvent et doivent être réécrites, en vue de rendre le transfert de bénéfices obsolète, d’introduire plus de transparence sur les énormes fortunes privées détenues à l’étranger, et de protéger les droits des pays à faible revenu d’imposer les bénéfices produits sur leur territoire”, recommande le rapport.

Le consortium d’organisations précise que lorsque chaque entité s’acquitte dans l’égalité et dans la justice de ses obligations fiscales, cela donne à chacun des chances de mener une existence prospère. Ainsi, les Etats auront une marge de manœuvre pour combler les inégalités structurelles et remplir leurs obligations internationales en termes de Droits Humains. C’est un ensemble d’avantages résumés en 4 R à savoir :

  • des Recettes, pour financer les services publics, les infrastructures et l’administration
  • une Redistribution, pour réduire les inégalités verticales (entre individus) et

horizontales (entre groupes)

  • une Révision des prix, pour contenir les « maux » publics, comme la consommation de tabac et les émissions de carbone
  • une Représentation, pour élaborer des processus démocratiques plus viables ,en reconnaissant qu’une dépendance accrue des dépenses gouvernementales à l’égard des recettes fiscales est étroitement liée à une amélioration de la gouvernance et de la représentation politique

Si le rapport pointe donc du doigt les insuffisances dans l’optimisation des recettes fiscales, tacle la suprématie des entités multinationales et des personnes très riches qui nuisent sévèrement à la capacité des gouvernements à maximiser les revenus fiscaux, il faut tout de même relever la complaisance des décideurs publics. Ceux-ci, en effet, font preuve d’une indifférence face à une injustice qui n’a que trop duré, préfèrent imposer l’austérité envers les peuples déjà sous agonie. Avant de tomber sur le chapitre de la mauvaise gouvernance et des détournements du peu de recettes en possession, on peut évoquer sans choquer l’érection des décideurs publics en business men aux côtés des multinationales qui refilent à ces gouvernants locaux, quelques actions dans les filiales pour ensemble s’enrichir au détriment des gouvernés dont on ne se souci que d’entretenir le petit équilibre leur permettant d’aller voter.

 

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