La politique et Gerry Taama, c’est fini !

Après douze ans d’engagement politique au Togo, Gerry Taama, ancien député et président national du Nouvel Engagement Togolais (NET), annonce son retrait de la scène politique. Sa décision, mûrement réfléchie, fait suite à une série d’événements lors des récentes élections, révélant des irrégularités et des obstacles insurmontables pour l’opposition.

 

Dans un communiqué émouvant, Gerry Taama expose les raisons profondes de son départ et dresse un bilan lucide de ses années en politique. Tout d’abord, il revient sur les défis rencontrés lors de la campagne électorale, marquée par des tentatives d’intimidation et des pratiques frauduleuses observées lors du dépouillement.

 

Malgré ses efforts pour une campagne transparente et inclusive, Taama se confronte à des irrégularités flagrantes, notamment des manipulations de votes et des intimidations envers ses partisans. Face à ces épreuves, le constat est amer : les règles du jeu politique au Togo ne sont pas respectées, et les résultats des élections ne reflètent pas la volonté des électeurs.

 

Taama exprime également sa déception quant à l’inefficacité des recours légaux, dénonçant le manque d’objectivité de la cour constitutionnelle et l’absence de représentation équitable. Il souligne que les irrégularités constatées ne sont pas le fait de forces extérieures, mais souvent le résultat de la complicité de membres locaux, ce qui compromet davantage la crédibilité du processus électoral.

 

Face à ce constat amer, Taama prend la décision courageuse de se retirer de la politique, conscient que l’alternance politique au Togo reste un idéal lointain dans les conditions actuelles. Il exhorte les jeunes à se concentrer sur d’autres voies que la politique traditionnelle, tout en restant engagés dans la construction d’une société plus juste et équitable.

 

En quittant la scène politique, Gerry Taama tourne la page sur une carrière marquée par l’engagement citoyen et la lutte pour le changement. Il se tourne désormais vers de nouveaux horizons, réaffirmant son attachement à son pays et son désir de servir autrement.

 

La rédaction de First-Newsmedia vous propose l’intégralité de son mot :

 

Je quitte la scène politique togolaise

 

Je suis resté silencieux si longtemps parce qu’il me fallait mettre de l’ordre dans les affaires du parti. Je viens de finir une ultime réunion du bureau national. Le 30 avril 2024, dès le lendemain du double scrutin, j’avais déjà annoncé à la fédération de l’Est-Mono que je quittais la politique. Au niveau national, cela a pris plus de temps, puisqu’il faut, avant de démissionner de la tête d’un parti disposant de 35 mille adhérents, prendre un certain nombre de dispositions. C’est chose faite à présent. La démission est actée et le parti sera dirigé par le premier vice-président, jusqu’à l’organisation d’un congrès dès le mois prochain.

 

Je vais un peu revenir sur la campagne électorale puisque je n’en ai pas parlé.

 

Contrairement à ce que je faisais lors des élections précédentes, je n’ai pas réalisé cette année de tournée nationale. Je voulais faire de cette élection une expérience sociale, en tant que sociologue. Je voulais répondre à cette question précise: est-il possible, en organisant une bonne campagne, dans des conditions d’hostilité telles que celles résultant de mon opposition à la nouvelle constitution, de remporter deux sièges sur trois dans une préfecture à l’intérieur du pays, quand on est un jeune parti comme le Net?

 

C’est ainsi que s’est organisée la campagne dans les 7 cantons où se répartissaient les 12 candidats du double scrutin. J’avais mis en place une organisation horizontale. Chaque candidat se comporte dans son canton comme une tête de liste.

 

La campagne finalement est une réussite en termes de mobilisation, d’autant plus que, assez curieusement, Unir en face en fait très peu sur le terrain, contrairement à ce qu’on voyait dans d’autres préfectures. Vous avez suivi ma campagne et je n’ai pas à vous faire un dessin.

 

Le jour de l’élection, quelques incidents sont signalés. Ils sont documentés et enregistrés. Dans deux bureaux de vote d’un canton, deux personnes sont surprises en train de bourrer les urnes. Le superviseur de la celi déployé sur le secteur (Unir) est interpellé et se saisit lui-même du surplus de bulletins tombés à terre. Dans un autre canton, un membre de bureau de vote a été surpris avec 150 bulletins de vote chez lui. Ces bulletins seront retournés dans le bureau de vote. Je suis moi-même allé sur le terrain vérifier les deux premières irrégularités et ce sont les seuls incidents qui me seront rapportés dans la journée.

 

C’est à partir de 16h, quand commencent les dépouillement, que le processus va complètement sortir de son cadre légal.

 

J’avais mis un dispositif pyramidal de collecte des résultats. Il y avait à la base les membres de bureau de vote : 324. Juste au-dessus, les délégués, pour renforcer les membres de bureaux de vote qui en faisait la demande. Nous sommes partis de 150 délégués pour atteindre plus de 200 au cours de la journée. Il y avait ensuite les superviseurs, chargés de surveiller des secteurs donnés en journée puis de ramasser les pv après le vote, et enfin les candidats, transformés en super superviseurs, chargés de rassembler les pv et de les rapporter au siège. Enfin, une équipe de contrôleurs, au siège, chargés d’appeler chaque membre de bureau de vote pour recueillir les résultats immédiatement sur une fiche de compilation identique à celle de la celi. Pour compléter le tout, les membres des bureaux ont reçu dans la journée chacun 7 SMS, rappelant les dispositions du code électoral et appelant à la vigilance.

 

Au lendemain du vote, donc le 30 avril, le résultat de tout ce dispositif est plutôt catastrophique. Sur 324 pv, nous n’en avons recueilli que 151 par type de scrutin. Les motifs d’absence de pv sont multiples mais le plus récurrent est le refus de donner les pv à nos membres de bureaux de vote, quand il ne s’agit pas de menaces et d’intimidations. Dans certains cas, nos membres ont dû fuir le bureau de vote pour se mettre à l’abri. Et la dernière raison est que certains de nos membres de bv ont simplement disparu et n’ont plus répondu au téléphone depuis lors.

 

Quand on analyse les pv à notre disposition, on réalise que c’est uniquement dans deux cantons qu’ils reflètent la réalité d’une élection plurielle et équitable. Le taux de participation est conforme à celui observé lors de nos tournées dans les bureaux de vote à la fermeture de ceux-ci, soit entre 35 et 45%. Les gens ne sont pas sortis voter, nous n’avons observé de l’affluence nulle part. Dans les bureaux de vote de ces deux cantons, j’ai environ les ⅖ des voix.

 

Dans les 5 autres cantons, en dehors centres de votes où étaient mes candidats au moment du dépouillement, les pv se présentent majoritairement sous la forme suivante : nombre d‘inscrits : 290 (c’est un exemple) nombre de votants 290, suffrages exprimés Unir 80% et le reste des candidats de l’opposition 20%. Certains pv montrent les résultats suivants : inscrits 290 (exemple toujours) , votants 290, unir 290, autres candidats 0,0,0. Un certain nombre de pv aussi sont vides avec pourtant les signatures des membres de bureau de vote. Il a aussi été documenté que des pv ont été remplis devant la celi, sans compter un certain nombre dont les résultats ont été barrés et modifiés.

 

La compilation des résultats dans la préfecture sera laborieuse, comme je l’ai dit, plusieurs pv sont soit difficiles à exploiter, soit les résultats sont difficiles à comprendre. Comment 100 % des inscrits peuvent voter dans un bureau de vote, parfois sans qu’il n’y ait des procurations ? Mais cet argument, techniquement intenable, tombe facilement à l’épreuve du droit devant une cour constitutionnelle. La dernière anecdote de cet épisode, c’est que pendant 3 jours, on se retrouve avec 18 urnes sans pv. Elles sont là, ces 18 urnes sans pv, avec personne pour donner les résultats. Et le troisième jour, on découvre fort opportunément les pv dans les urnes, ce qui clos le suspens.

Contrairement aux dispositions du code électoral, nous demanderons sans succès la fiche de compilation des résultats à la celi.

Nos 40 listes de candidats sur le plan national exigeront aussi ce document, en vain. Fin de l’histoire.

 

Tout les pv dont j’ai parlé dans mon propos sont à ma disposition. Ils ont été scannés et les originaux laissés au siège du parti dans l’Est-mono. D’ici quelques années, j’écrirai sans doute un livre sur cette expérience électorale. Mais je rappelle que je dispose de moins de la moitié des 324 pv de la préfecture.

 

J’ai pris la décision de quitter la politique ce 30 avril 2024, au vu de la vanité de tous nos efforts. Il ne sert à rien de perdre son temps en politique au Togo, tant que les résultats des élections n’ont aucun rapport avec le vote des électeurs. Cette situation, cette férocité et cette voracité, je ne l’ai observée dans aucune des quatre élections auxquelles j’ai déjà participé. Cette année était spéciale.

 

Certains me demanderont pourquoi n’ai-je pas fait de recours à la cour constitutionnelle ? Le Net s’est refusé à faire des recours.

 

Ah j’oubliais, au résultat, les trois sièges de la préfecture iront à Unir, tout comme les 108 sur les 113 du pays.

 

Alors, pourquoi n’ai-je pas fait de recours ? Ceci pour trois raisons.

 

La première et la plus évidente est que je n’ai plus de raisons objectives de croire à l’objectivité de notre cour constitutionnelle. À deux reprises durant ce mois de mars, j’ai été débouté par cette même cour sur des sujets où j’estime qu’elle n’avait pas dit le droit. Cela aurait servi à quoi de continuer à la solliciter, d’autant plus que je n’avais pas la totalité des pv ?

 

La seconde raison, la plus inquiétante et la plus importante, est que toutes les irrégularités dont j’ai fait mention lors des dépouillements n’ont pas été faites par des personnes opulentes venues de Lomé. Non, c’est l’enseignant volontaire payé à 5000f le mois, le paysan ayant perdu son pouvoir d’achat depuis que le soja ne donne plus rien, c’est le diplômé au chômage depuis des années, c’est des pauvres hères qui ont mis une énergie extraordinaire pour dévier le processus de sa trajectoire. S’ils le font, c’est qu’ils sont satisfaits de leur situation. Pire, certains de nos propres membres de bureau de vote et délégués nous ont trahis dans des proportions inimaginables. Comment un membre de bureau de vote, formé à plusieurs reprises, peut expliquer que sur le pv de son bureau de vote, son parti n’ait pas de voix ? Lui-même a voté pour qui ? Donc les gens qui soutiennent le système et sont prêts à tout pour son maintien, le font volontairement, en connaissance de cause. J’ai, en 5 ans de législature, investi plusieurs dizaines de millions de francs CFA dans l’Est-Mono. C’est plus de la moitié de mes indemnités de député. Des jeunes d’un village où j’ai installé un forage, des lampadaires, ou offert un financement de 300 000 f au groupement de femmes, ont pu scander qu’ils ne voulaient pas du Net dans leur village. Que peut-on faire face à cela? Est-ce que c’est forcé d’aider les gens même ?

 

La troisième raison est la réponse que j’ai obtenue suite au postulat posé avant la participation à cette élection. Vous vous souvenez ? Peut-on, dans les conditions de déroulement de ces élections d’avril 2024, gagner une élection à l’intérieur du pays en étant un parti autre que Unir? Ma réponse est non. Seul l’Addi a gagné deux sièges à l’intérieur du pays, dans Tandjouaré où Gogué dispose d’une longue et solide base électorale, et à Danyi où l’implantation du parti s’ajoute à une faible population. Avec 4000 électeurs, c’est tout bon. D’après mon expérience et dans les conditions actuelles, un jeune parti, même n’importe quel parti de l’opposition, ne peut pas remporter des élections dans notre pays, sauf si les règles du jeu sont respectées par tout le monde. Il se trouve que ceci n’est pas le cas et ne le sera sans doute jamais, avant un long moment. C’est mon avis personnel.

 

Entre mon entrée en politique en 2012 et ce jour, j’ai dépensé plusieurs centaines de millions de fcfa, une grande partie de cet argent est issue de mes propres activités économiques, et la seconde, de la participation des militants, notamment les membres des celi, de la Ceni et des députés. Rien que cette élection m’a coûté plusieurs dizaines de millions, dont les ⅔ environs dans l’Est-mono. Pourquoi continuer de gaspiller tout cet argent pour une cause perdue d’avance ?

 

Quand j’entends des jeunes se moquer de notre situation aujourd’hui, nous traitant de buveurs de lait, cela me fait rire. Il faudrait que je fasse au moins 4 mandats en tant que député, sans plus rien investir, pour commencer à rattraper mes dépenses en politique. Rien qu’au lancement du Net en 2012, j’avais déposé 20 millions sur la table. Bref.

 

J’ai essayé de faire la politique autrement et j’ai échoué. Il faut croire, avec les résultats de cette élection, que les Togolais sont satisfaits de la politique du parti Unir. En bon démocrate, je respecte ce choix. Mais s’il fallait le refaire, je voterai toujours contre ce texte. Nous avons besoin de rêver d’une alternance politique par des élections au suffrage universel direct au Togo et le régime parlementaire enlève ce rêve.

 

Il faut savoir quitter la scène avant qu’elle ne te quitte. Je suis heureux de ces 12 années de ma vie en tant que politicien. De mon engagement citoyen et de l’espoir que j’ai pu donner à certaines personnes. Je reste fier de mon parcours parlementaire. J’ai contribué à désacraliser la fonction de député et à montrer qu’on peut faire bouger certaines choses même en étant minoritaire. J’espère que quelqu’un d’autre prendra la relève.

 

Pour finir, je ne crois pas que les élections apporteront de l’alternance politique dans notre pays. Pas avec ce que j’ai vu au cours de ces élections. Le Net était présent dans 41 celi sur 56.

 

Aujourd’hui, je n’encouragerai aucun jeune à entrer en politique, sauf dans les rangs du parti Unir. C’est une perte de temps et d’argent. Occupez vous de vos vies et faites du business. Nous restons un pays à économie libérale et on peut encore réussir en affaires, jusqu’à un certain niveau. Pas pour devenir milliardaire, il ne faut pas rêver non plus.

 

Voilà, l’homme politique prend congé. En réalité, cela fait 4 ans que j’aurai déjà dû céder ma place de président du NET. Le mandat selon nos statuts est de 4 ans renouvelables une seule fois et j’ai fait 4 années de trop. Il faut à présent rendre le tablier. Les jeunes feront sans doute mieux que moi et je reste bien entendu un militant du parti, mais de second rang, tout simplement.

 

Je vais retourner à mes premiers amours: entrepreneuriat, tourisme, culture et motivation des jeunes. Je suis un vendeur de caméras de surveillance et d’équipements de sécurité et je suis plutôt un bon vendeur. Place au business à présent.

 

J’ai toujours eu un esprit chevaleresque et on peut servir son pays et ses compatriotes autrement. Ma vie est un éternel recommencement. Quand j’ai quitté l’armée en 2008, ma situation économique n’était pas terrible et 3 ans plus tard, j’avais un chiffre d’affaires annuel à 9 chiffres avec ma principale entreprise. Je me donne une année pour faire le double, avec Vanessa. Heureusement qu’elle est là et me soutient en permanence.

 

Ce pays nous appartient à nous tous. Nous y sommes nés, nous y grandissons et nous y mourrons. Réussir sa vie au Togo ne signifie pas forcément y avoir été député, ministre ou Dg. Pour moi, réussir sa vie au Togo, c’est prendre soin de sa famille, élever dignement ses enfants, et être utile à sa communauté, du mieux qu’on peut. Et on peut ensuite rejoindre son créateur avec le sentiment de devoir accompli. C’est pour cette raison que je suis resté en permanence un homme humble, un homme au milieu du peuple. Ce que l’homme fait de sa vie, résonne dans l’éternité.

 

Servir autrement.

 

Gerry

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *