Il n’y a pas que les inégalités sociales qui minent le Togo. Si les questions d’inégalités entre la minorité riche et la majorité pauvre sont plus récurrentes sur les lèvres, les togolais vivent une autre forme d’inégalité qui n’est pas prête de s’arrêter. Pour un Togolais, vivre à Dapaong, Kara, Mango, Atakpamé, Notsé ou Kpalimé ne prédispose pas aux mêmes avantages et potentiels. Et pour cause : On n’a pas la même chance d’avoir de l’eau potable à Djarkpanga, qu’à Lomé-Tokoin. Le Bachelier de Sokodé n’a presque pas d’offres de formations universitaires, s’il ne prend la peine de s’installer à Lomé. C’est bien une triste réalité qui interpelle peu les leaders d’opinion et les décideurs, ces derniers ayant vite fait de noyer cette problématique sous la décentralisation.
En 2010, le recensement général de la population et de l’habitat révélait une inégale répartition de la population togolaise dans des proportions inquiétantes. Lomé la capitale seule détenait presque 50%. En clair, La région Maritime concentrait 41,7% de la population totale (2.398.915 habitants) sur environ un dixième de la superficie totale du pays. S’en suivent les Plateaux (22,2%), les Savanes (13,5%), la Kara (12,5%) et la Centrale (10,1%)…
Dans la seule ville de Lomé, on comptait environ 53% de médecins, 42 % de sages-femmes et 26 % d’infirmiers, alors que dans certaines régions, plus de 45% des unités sont tenues par du personnel non qualifié.
Téléphonie, Internet, routes, centres de loisirs etc. : tout ce que devient impossible à avoir quand on quitte Lomé
Le schéma n’a pas véritablement évolué depuis lors, puisque les Universités, grandes écoles et centres de formations professionnelles sont toujours à Lomé, et à part les agropoles, il n’y a quasiment pas de projet gouvernemental conséquent à l’intérieur du pays. Dès qu’on quitte Lomé, on est comme coupé de tout. Petit pays de 56 600km² (Ce qui ne ferait même pas la capitale d’un seul Etat au Nigéria), c’est quand même curieux de comprendre qu’il n’existe aucune chaîne de télévision qui couvre localement le Togo de Lomé à Cinkassé. Avec deux grandes sociétés de téléphonie mobile, c’est quasiment la croix et la bannière pour les abonnés des deux réseaux de disposer d’appels téléphoniques de qualité à Lomé (en plein centre de la capitale).
Dans les centres d’appels de Moov et Togocellulaire, les plaintes sur la mauvaise qualité des réseaux sont récurrentes, mais les premiers responsables ne se sentent visiblement pas interpellés. Le Togo pour eux, c’est une petite niche où par leur moindre effort, ils garnissent assez bien leurs comptes. Même si l’ARTP s’est mise en alerte ces derniers mois contre les mauvaises prestations des télécoms au Togo, ce n’est pas encore l’heure des bousculades. Personne n’est inquiétée que le consommateur togolais paie cher pour une communication à la qualité déconcertante.
Alors que le monde entier commence à parler du déploiement de la 5G et 6G, la 3G est encore un rêve “utopique” pour les togolais de certaines contrées, où pouvoir passer un simple appel téléphonique serait déjà un miracle. Mais à notre époque, que pourrait-on attendre d’une société qui n’est pas connectée?
Dans certaines régions du monde, le défi pour chaque opérateur de télécoms est de déployer par localité, un certain nombre de prestations novatrices sur l’intervalle d’une période donnée. Togocom peut décider par exemple que chaque année, 3 localités vont bénéficier d’un déploiement effectif et correct de la 4G, et un département spécifique sera mis sur pied pour l’exécution avec obligation de résultat.
Routes, écoles, internet, télévisions, radios… Tous ces éléments sont comme des impératifs pour le déploiement humain, surtout les jeunes. C’est d’ailleurs ce qui attire plus les jeunes vers les zones urbaines et explique la surpopulation de Lomé. Selon le banquier ivoirien Tidjane Thiam, ce sont les infrastructures qui sont vecteur du développement. En substance, cette grande figure de l’économie africaine, contre un expert de la Banque mondiale raconte : “… donc la raison pour laquelle ce tronçon de 60 km n’est pas bitumé selon l’expert, c’est que les études ont montré qu’il n’y a pas assez de trafic. Et c’est parce qu’il faut 08 heures pour faire 60 km de route. Des années après ayant construit la route, ramenant l’expert qui avait refusé le financement et lui montrant les 15 villages où la bière coulait à flot, l’électricité, les champs, les récoltes, les camions, mais voilà, c’est ça le développement”.
En général, on attend dans nos pays, une forte concentration humaine par zone, avant de penser au déploiement des infrastructures, alors qu’on constate que les Hommes, acteurs du développement ont toujours été motivés par les infrastructures. Au Niger et dans certains pays, le gouvernement chaque année vote un budget pour équiper spécifiquement une zone du pays en infrastructure. Cette démarche vise à développer les infrastructures dans plusieurs régions du pays, quelles que soient les circonstances financières du pays. A cela, viennent s’ajouter les politiques de décentralisation, favorables à une déconcentration de la population qui encourage également le développement rural.
Il est impossible au Togo, pour un citoyen de vivre à Tsévié et aller travailler à Lomé avec sa voiture. Les frais de péages seulement lui reviennent à 600 F CFA/jour minimum en fonction de son véhicule. Ce qui oblige tout le monde à s’entasser à Lomé, où les spéculations foncières et les pollutions de toute sorte sont monnaies courantes. Si la décentralisation naissante est appelée à contribuer à endiguer le phénomène, il n’en demeure pas moins que c’est la politique qui doit prendre les choses en mains avec une politique d’infrastructures adaptées. Le togolais s’est trop contenté ces dernières années de quelques routes construites pêle-mêle, de la concentration d’infrastructures de formation à Lomé et aussi des opérateurs télécoms partisans de moindre effort.
Un jeune de Dapaong, doit pouvoir avoir les mêmes opportunités de formation, d’informations et de divertissements que celui de Lomé. Ajoutés au potentiel lié à sa région, ces acquis permettront à la jeunesse de canaliser son énergie humaine sur le travail et la croissance, au lieu de se dépenser dans l’exode rural voir l’immigration vers les pays voisins ou l’Europe.